"Doit-on apprendre à devenir soi-même ?"
En pensant à Angélique, Tom, Nathanaël, Jérôme, Irina, Louise
et les autres...
et les autres...
Sujet de dissertation de philosophie qui est venu se poser récemment au croisement de divers épisodes de vie, dont un d'écriture.
Peu importe. Il se trouve simplement que cette question m'intéresse. Que j'ai envie d'aller y flâner de façon sans doute un peu bordélique, en me trompant peut-être de route, en repassant par le même chemin, sans désir en tous les cas de faire le tour de la question.
Alors poser d'autres questions :
* M'a-t-on appris à être moi-même ?
* Etre soi-même relève-t-il de l'apprentissage ?
* Si quelqu'un m'apprend, qui est-il ? Quel est son statut ? Quel rapport ai-je à cette personne ? Est-elle seule ? Est-ce un groupe ? Dois-je l'attendre ? Ne dois-je pas l'attendre ? Comme l'on dit l'élève peut-il dépasser le maître ? S'il y a maître, y a-t-il esclave ?
* Devient-on qui l'on est ?
* Devenir soi-même n'est-il pas un leurre pour les inconsolables que nous sommes ?
* Doit-on ? Faut-il ?
* Peut-on être l'autodidacte de soi-même ?
* Si je suis dans la position de celui qui doit apprendre, qu'est-ce qui dans mon expérience m'autorise à estimer ce que l'autre doit devenir ?
... Et là la liste s'arrête, le spectre de la projection parentale se profile, un peu moqueur, tant il est difficile d'en rester à la simple position de la méthodologie et non du contenu, d'en rester à cette position du "maître ignorant" ce que l'autre peut devenir. Autrement dit comment permettre à un enfant d'avancer, de se construire sans lui assigner une identité nourrie des avatars, des peurs, des certitudes qui constituent celle que le parent croit être la sienne. Parce qu'il est difficile de ne pas trop dire ou trop penser : "je sais ce qui est bien pour toi" ; "je sais ce que tu vaux, ce que tu devrais valoir". Sans oublier le "je te connais" (sous entendu "mieux que toi-même") qui ne renvoie à l'enfant qu'une impression de transparence aux autres, d'opacité à lui-même, comme ce roi du conte qui se ballade à poil croyant être en habits. Et pour être plus cru, je pourrais renvoyer au film Alien !
L'expérience du parent, oui, sans doute, donne du recul mais elle peut lui faire oublier la façon dont il a vécu cet apprentissage au même âge. La difficulté pour lui est d'avoir cette pensée de derrière qui ne doit pas le déconnecter de ce que vit l'enfant. Le parent doit essayer de marcher à côté, seulement à côté, position qui finalement peut être la meilleure pour veiller aux valeurs, aux risques, pour partager l'expérience, pour suggérer qu'à prendre tel embranchement, l'ombre que l'enfant portera sur le chemin sera sans doute plus belle... Ainsi, si le parent accepte l'idée du devenir, de la construction, il ne faut surtout pas nier l'altérité qui existe, réside, subsiste en l'enfant. Ne pas dire à l'enfant que l'on sait qui il est, qui il doit être, ce qu'il devra être dans un, deux, trois ou dix ans, c'est reconnaître en lui cet autre essentiel qui le fera avancer, avec lequel il devra batailler ; c'est admettre cet autre dont il faut respecter la distance qu'il installe avec le parent (distance qui peut jouer avec la limite du respect, de l'invective, des propos injustes, de la mauvaise foi...). Il ne faut pas priver l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte (n'ai-je pas entendu récemment que l'âge moyen auquel on perd ses parents s'approche des 60 ans) de cette altérité en y projetant des angoisses qui ne regardent que le parent et sa propre altérité qui n'est pas celle de son enfant. Charge à l'adulte aussi de ne pas se laisser enfermer par l'enfant dans cette identité de parent.
Le parent éduque, aime, transmet parfois à son corps, à sa parole défendant. Il a pour rôle, il se donne pour rôle en voulant devenir père ou mère, d'apprendre aux enfants que devenir soi-même c'est apprendre à découvrir en soi une altérité qui peut échapper, qui n'est pas celle du parent (peut-être même que l'enjeu autant que la difficulté est de jouer en tant que parent l'équilibriste entre l'un et le multiple à cultiver chez l'enfant, entre dispersion et bloc monolithe). Cette altérité n'appartient qu'à l'enfant, elle relève d'une expérience de vie que le parent doit accompagner, guider en acceptant que son enfant n'ait pas forcément exactement le même référentiel que lui, que ce que son enfant vit peut lui être étranger. Cette altérité qu'il est passionnant de voir se développer (salutaire distanciation) est aussi là pour rappeler au parent sa propre aventure, pour lui rappeler qu'il ne faut pas transmettre ce qui l'a rendu malheureux dans sa propre construction. L'idée n'est pas bien sûr de dire que le parent maîtrise tout, à conscience de tout, que l'enfant n'a pas à apprendre à voir, à sentir, à respecter le "soi-même" des parents... L'idée est juste de rappeler l'inconfort certes, mais l'importance de la position du maître ignorant, qui peut être le meilleur exemple donné à l'enfant de ce "soi-même" qu'en tant que parent on continue de construire.
Le parent apprend (le parent et l'enfant sont deux "apprenants", parce que la naissance de l'enfant ne suffit pas à faire de soi un parent définitif, accompli et les problèmes viennent souvent de là, de ce refus de considérer que devenir parent, et non être parent, est une formation tout au long de la vie), il apprend donc aussi à devenir un parent en acceptant que son enfant arrive à prendre une distance que lui, l'enfant, n'a pu, su prendre et que l'éducation qu'il donne au fond autorise maintenant. Et cette propre réussite du parent qui devrait lui faire du bien, il arrive parfois que le parent lui-même ne parvienne pas à la reconnaître à sa juste valeur parce qu'il attend beaucoup de l'enfant, comme si l'enfant pouvait consoler ce qu'il y a d'inconsolable en son parent...
L'aventure d'être parent est puissante, parce qu'éduquer, c'est accepter que l'enfant dise au parent qu'il ne veut pas de ses névroses, de ses représentations trop angoissées, inquiètes ou sereines, de son rapport aux autres, à la réussite... qu'il désire se construire en équilibre autrement, avec ses angoisses à lui (et même si l'on trouve qu'elles ressemblent à celle du parent, il ne faut pas forcément trop le lui dire, ou le lui dire en précisant que l'héritage n'est pas toujours un bien...).
Les enfants ont ceci de bien : ils voient ce qui ne rend pas heureux leurs parents (après qu'en font-ils...?)
Les enfants ont aussi cet "agréable" défaut pour l'ego du parent de vouloir lui faire plaisir en lui faisant croire que ce qu'il prétend être lui-même n'est qu'une réponse à l'attente du parent.
Après, cette réponse donnée par l'enfant à l'attente est-elle un mot d'amour, un jeu, une manipulation, une façade, une transaction, un pansement...?
Éduquer a toujours à voir avec la faille du parent.
Et pour poser un "je" de fiction évidemment, toujours, puisque être parent relève d'une fiction que l'on tente de réaliser : je dirai qu'être au quotidien (d'enseignant ou de conducteur et d'observateur d'escrimeurs) en présence d'adolescents tous différents, protéiformes, mouvants et constants aussi jusque dans leurs méprises, m'aide à adopter comme je peux cette attitude du parent-maître ignorant avec mes ratés, évidemment.
N.B. : Je ne peux m'empêcher : penser à Rimbaud, sa mère, les Ardennes, Une Saison en enfer...
Nota Benêt... : Si une branche supplémentaire à mon multiple devait se former, il me plairait d'aller vers l'accompagnement personnel (et non technique...) d'ados compétiteurs. L'escrime est passionnante pour ça.