Peter, Bonnefis et les autres
Atteindre son niveau d'incompétence... socialement difficile... être sûr qu'il s'agit bien de son niveau d'incompétence, que l'on n'est pas en train de se leurrer (on ne manque tellement pas de raisons) ou que d'autres ne sont pas occupés à vouloir que l'on s'en persuade ou à fixer des limites qui les arrangent... cela non plus n'est pas si facile. D'autant qu'il n'y a pas d'âge, selon ce bon vieux Peter.
Alors tenter de faire la part pas trop tronquée des choses.
Enseigner demande un ajustement entre didactique et pédagogique. L'équilibre est propre à chaque enseignant, et il me semble que la liberté est là, tant que les élèves avancent, construisent, s'ouvrent à la littérature, dans mon cas. La didactique, et les constructions in abstracto qu'elle demande, ne sont pas un espace où je m'épanouis. Mais je sais me méfier de moi-même et je sais quand il me faut me recentrer sur des fondamentaux didactiques à mettre en œuvre dans la pédagogie, dans le rapport aux élèves.
Il existe donc en concours une épreuve de didactique : sept heures pour construire un projet pour un élève idéal à partir d'un corpus de textes (3 ou 4 ou un texte long). Et je rame, parce que c'est pour moi un exercice contre-nature.
Alors la première vertu de cette difficulté de réussir est de transférer cette situation aux élèves qui rencontrent un exercice nouveau et pour eux difficile. Le temps, l'impatience font que parfois l'enseignant oublie ce que signifie pour un élève d'"être en difficulté d'apprentissage" (on a eu le concours, on sait faire, c'est évident, et on n'apprend rien, méthodologiquement, de vraiment nouveau), l'enseignant a oublié ce que signifie pour cet élève la souffrance intellectuelle d'être face à une copie et de sentir que l'objet échappe. Trouver, construire le cheminement de pensée, de réflexion qui fera rentrer dans le moule d'une forme, d'une démarche. Or pour moi, rédiger un devoir de didactique (exercice nouveau) revient à me demander de tenir mon épée de la main droite. Je sais, à cinq ans, j'ai réussi à prendre mon stylo de la main droite, mais si vous voulez faire un bonzaï, n'attendez pas que l'arbre ait grandi...
Alors j'essaie (je prends l'épée de la main droite et j'encaisse de belles touches) et je mesure une fois de plus mon besoin de temps, de cheminement. Je comprends à nouveau ce qu'un élève peut éprouver à affronter le sentiment d'une médiocrité relative à un exercice sans se dire que cela vaut pour tout, ce que le système d'enseignement peut tout à fait favoriser. Mon parcours d'étudiant a été brillant deux années : licence et maîtrise. Le reste, avant, a été une lente émergence jusqu'à ce que Philippe Bonnefis, par son enseignement, m'autorise à aborder les textes comme finalement j'attendais depuis si longtemps de pouvoir le faire : lentement, de l'intérieur, par imprégnation. Et l'écriture, sur deux mois, a explosé dans cette absence de cadre. Un ami d'enfance a été sidéré par cette transformation d'une écriture un peu laborieuse sur le plan de l'analyse en une écriture qui tout à coup s'appropriait les textes, osait prendre la parole et poser sa respiration des textes. Mon excellence s'est trouvée là. Je me suis trouvé là, à vingt ans... Le plaisir du texte est là, pour moi. J'entre dans le commentaire d'une œuvre comme j'entre dans mes fictions : sans savoir vraiment quel chemin je vais emprunter pour atteindre un but que je n'ai pas clairement formalisé parce que je sais que l'écriture le fera bouger, le construira à mesure, le fera bifurquer, le travaillera. Je l'ai dit déjà : ni global, ni analytique, fictionnel, pour être les deux, dans la durée.
J'ai donc eu la chance de croiser un enseignant, Philippe Bonnefis, qui m'a autorisé cela, une année. Un mémoire de maîtrise sans plan, sans chapitre, sans bibliographie (je n'avais lu que Cendrars et écouté P. Bonnefis), aucune note prise sur les œuvres : un tête à tête d'une année avec un auteur, une immersion qui me permettait de circuler comme je voulais dans l'œuvre, de passer d'un livre à l'autre sans avoir besoin d'apprendre des citations passe-partout. Mais pour le DEA (de l'époque), il m'a dit : vous ne pouvez plus. Et j'ai arrêté. J'essaie alors toujours de garder en mémoire qu'un jour P. Bonnefis m'a dit qu'à mon âge, il n'aurait pas su faire ce qu'en licence il m'a permis de faire. En enseignant en terminale L, j'essaie de dire aux élèves qui comprennent vite les attentes d'une épreuve castratrice de deux heures, qui entrent dedans sans difficultés parce qu'il y a aussi des formes d'esprit, de réflexion, qu'à leur âge, je n'aurais pu en faire autant. Ils m'épatent.
Quignard m'importe donc pour son tissage de fragments qui inscrivent la lecture dans le temps et dans un rythme qui me sont proches. Laisser le temps à l'écho de s'épuiser, de rebondir sur toutes les parois et de revenir, ou pas.
Ce que commencent à faire depuis hier les fleurs et les arbres de Kyôto de Kawabata.
Alors tenter de faire la part pas trop tronquée des choses.
Enseigner demande un ajustement entre didactique et pédagogique. L'équilibre est propre à chaque enseignant, et il me semble que la liberté est là, tant que les élèves avancent, construisent, s'ouvrent à la littérature, dans mon cas. La didactique, et les constructions in abstracto qu'elle demande, ne sont pas un espace où je m'épanouis. Mais je sais me méfier de moi-même et je sais quand il me faut me recentrer sur des fondamentaux didactiques à mettre en œuvre dans la pédagogie, dans le rapport aux élèves.
Il existe donc en concours une épreuve de didactique : sept heures pour construire un projet pour un élève idéal à partir d'un corpus de textes (3 ou 4 ou un texte long). Et je rame, parce que c'est pour moi un exercice contre-nature.
Alors la première vertu de cette difficulté de réussir est de transférer cette situation aux élèves qui rencontrent un exercice nouveau et pour eux difficile. Le temps, l'impatience font que parfois l'enseignant oublie ce que signifie pour un élève d'"être en difficulté d'apprentissage" (on a eu le concours, on sait faire, c'est évident, et on n'apprend rien, méthodologiquement, de vraiment nouveau), l'enseignant a oublié ce que signifie pour cet élève la souffrance intellectuelle d'être face à une copie et de sentir que l'objet échappe. Trouver, construire le cheminement de pensée, de réflexion qui fera rentrer dans le moule d'une forme, d'une démarche. Or pour moi, rédiger un devoir de didactique (exercice nouveau) revient à me demander de tenir mon épée de la main droite. Je sais, à cinq ans, j'ai réussi à prendre mon stylo de la main droite, mais si vous voulez faire un bonzaï, n'attendez pas que l'arbre ait grandi...
Alors j'essaie (je prends l'épée de la main droite et j'encaisse de belles touches) et je mesure une fois de plus mon besoin de temps, de cheminement. Je comprends à nouveau ce qu'un élève peut éprouver à affronter le sentiment d'une médiocrité relative à un exercice sans se dire que cela vaut pour tout, ce que le système d'enseignement peut tout à fait favoriser. Mon parcours d'étudiant a été brillant deux années : licence et maîtrise. Le reste, avant, a été une lente émergence jusqu'à ce que Philippe Bonnefis, par son enseignement, m'autorise à aborder les textes comme finalement j'attendais depuis si longtemps de pouvoir le faire : lentement, de l'intérieur, par imprégnation. Et l'écriture, sur deux mois, a explosé dans cette absence de cadre. Un ami d'enfance a été sidéré par cette transformation d'une écriture un peu laborieuse sur le plan de l'analyse en une écriture qui tout à coup s'appropriait les textes, osait prendre la parole et poser sa respiration des textes. Mon excellence s'est trouvée là. Je me suis trouvé là, à vingt ans... Le plaisir du texte est là, pour moi. J'entre dans le commentaire d'une œuvre comme j'entre dans mes fictions : sans savoir vraiment quel chemin je vais emprunter pour atteindre un but que je n'ai pas clairement formalisé parce que je sais que l'écriture le fera bouger, le construira à mesure, le fera bifurquer, le travaillera. Je l'ai dit déjà : ni global, ni analytique, fictionnel, pour être les deux, dans la durée.
J'ai donc eu la chance de croiser un enseignant, Philippe Bonnefis, qui m'a autorisé cela, une année. Un mémoire de maîtrise sans plan, sans chapitre, sans bibliographie (je n'avais lu que Cendrars et écouté P. Bonnefis), aucune note prise sur les œuvres : un tête à tête d'une année avec un auteur, une immersion qui me permettait de circuler comme je voulais dans l'œuvre, de passer d'un livre à l'autre sans avoir besoin d'apprendre des citations passe-partout. Mais pour le DEA (de l'époque), il m'a dit : vous ne pouvez plus. Et j'ai arrêté. J'essaie alors toujours de garder en mémoire qu'un jour P. Bonnefis m'a dit qu'à mon âge, il n'aurait pas su faire ce qu'en licence il m'a permis de faire. En enseignant en terminale L, j'essaie de dire aux élèves qui comprennent vite les attentes d'une épreuve castratrice de deux heures, qui entrent dedans sans difficultés parce qu'il y a aussi des formes d'esprit, de réflexion, qu'à leur âge, je n'aurais pu en faire autant. Ils m'épatent.
Quignard m'importe donc pour son tissage de fragments qui inscrivent la lecture dans le temps et dans un rythme qui me sont proches. Laisser le temps à l'écho de s'épuiser, de rebondir sur toutes les parois et de revenir, ou pas.
Ce que commencent à faire depuis hier les fleurs et les arbres de Kyôto de Kawabata.
2 commentaires:
Ecoute, Il ne s'agit pas tant de tes points faibles, mais de ceux de l'autre. Tire de la main gauche et reste dans les points forts de ton adversaire.`
encaisse des touches , fait croire à des failles tout en construisant ta stratégie, commence à penser à la place de ton adversaire,pour t'approprier son raisonnement , commettre les fautes de l'autre, c'est déjà se douter de ses points forts
La technique sans intention ne sert à rien, alors , une fois le temps de l'observation, passé, le temps de l'action , fort, puissant, autoritaire, sans doute, aucun.
"La technique sans intention ne sert à rien." : je garde (je me mets en garde). Pour la technique, le travail, mais je pense que souvent, dans nombre de situations, c'est effectivement l'intention qui défaille, que nous n'interrogeons pas assez, au départ ou en cours.
Quant à penser à la place de mon adversaire, je fais souvent le constat que, devant un damier (échec par exemple), je n'arrive pas à anticiper les stratégies de l'adversaire, je n'y vois rien. Mais une lectrice adolescente rencontrée sur un Salon du livre m'a demandé si j'étais psychiatre parce qu'elle trouvait que j'avais vraiment réussi à rendre l'intime d'Angélique.
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