Lire Rimbaud (5)
En travail d'humeur de lecture non-exhaustive
(enjeu de cette petite "étude" à lire dans les commentaires de Lire Rimbaud 3)
La chromothérapie de la langue
3
Quand Rimbaud voit rouge
En travail d'humeur de lecture non-exhaustive
(enjeu de cette petite "étude" à lire dans les commentaires de Lire Rimbaud 3)
La chromothérapie de la langue
3
Quand Rimbaud voit rouge
"De tes noirs Poèmes, - Jongleur !
Blancs, verts et rouges dioptriques,
Que s'évadent d'étranges fleurs
Et des papillons électriques."
("Ce qu'on dit au poète à propos des fleurs" - signé "Alcide Bava, A.R.")
Mettre de l'étrange, de l'électrique, telle est l'une des ambitions de ce malin génie qui a vite compris que tout n'est qu'une question d'ondes. Changer les ondes pour changer la perception ; créer des ondes pour créer des énergies nouvelles (nous ne sommes qu'en 1871), pour modifier dans nos cerveaux habitués les associations des mots et des couleurs, des mots et des choses. La représentation est rassurante, elle construit son blindage de certitudes qui protègent des voyous de la langue tout occupés à la pénétrer par effraction, à forcer le coffre-fort des sens, du sens bien ordonné. Alors Rimbaud se donne un surnom de braqueur : Alcide Bava. Hercule le baveur d'acide qui ronge tous les blindages. Alors bien sûr, parfois, même si la tâche est "longue", "immense" et "raisonnée", ça saigne, c'est pas du propre. Mais ce qui compte, c'est de voler les couleurs enfermées, serties pour de tristes "émaux et camées". Rimbaud-Robin des bois de Charlestown (surnom qu'il donnait à Charleville) ne vole que pour mieux rendre aux oubliés, aux insurgés, après avoir taillé, retaillé pour qu'en une autre main la pierre précieuse ne soit plus bijou, mais qu'elle revienne au plus près de la beauté brute de son extraction solaire (voir les quelques mots sur l'or de "lire Rimbaud (3)") :
"L'éclat de ces mains amoureuses
Tourne le crâne des brebis!
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis!"
("Les Mains de Jeanne-Marie")
Le rubis est une pierre réfractaire, au double-sens du terme. Elle résiste à la chaleur, elle résiste, tout simplement. Elle est une pierre de dissidence, une pierre pour ceux qui, en retour à l'étymologie de "dissident" que rappelle Quignard, se désassoient (et non pour "Les Assis"). Le rouge allonge (non plus pour le désir rose tranquille, rouge alors adouci de blanc qui a aussi cette vertu) ou dresse. Le rouge allonge sous la mitraille ou dresse le forgeron qui d'un geste de noblesse vraie jette son bonnet rouge au visage du roi ("Le Forgeron"). Le rouge par le sang pose la vie ou la mort, dans un jaillissement souvent, dans une brutalité, une puissance presque explosive. Le rouge qui atteint au vermeil fusionne, dans sa longueur d'onde, avec l'or.
Le rouge est plus que le désir, il est son ivresse (le rouge du vin aussi qu'il faudrait filer dans l'œuvre), son excitation, il est le désir tisonné qui monte aux lèvres, le désir un peu brutal et primitif face à Nina :
"Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh! - qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur!
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur [...]"
ou bien encore aux sources anciennes d'une "Tête de faune":
"Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches."
Rire rouge du désir effaré qui écarlate comme un bourgeon trop plein de sève. (Notons au passage que chez Rimbaud, on ne mord pas la pomme, mais la fleur rouge de mère Nature). Rouge érection donc, de la colère aussi bien sûr, de la Commune, de la Révolution. Drapeau rouge, drapeau noir. Deuil des sacrifiés du "Mal" de la guerre, du dormeur aux "trous rouges" (comment ne pas le citer...), "crachats rouges de la mitraille" qui traversent, transpercent et font crever les soldats qui déjà portent en uniforme "écarlates" l'avenir de leur sang versé. Le devoir de Rimbaud, parce qu'il nous semble lire chez lui ce sentiment du devoir, est de rétablir les couleurs, de déjouer les chromos menteurs des illustrations à la gloire de l'Empereur aux trois bâtons. Ainsi avec "L'éclatante victoire de Sarrebrück", cette "gravure belge brillamment coloriée" (et déjà croisée), Rimbaud gratte-t-il la croûte du pittoresque guerrier de la gloriole. En politique, en propagande, faut que ça brille, avec aussi un peu de rose :
" Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, -car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. [...]"
Si Napoléon le troisième cherche à se faire l'égal de l'Autre, le Premier, son apothéose selon Rimbaud n'est plus qu'un rite funéraire antique. Ici, dans le rejet à la rime de "flamboyant", dans le "férose" du Zeus de pacotille, rien d'autre qu'un enterrement de toutes ces fausses couleurs, trop brillantes pour ne pas mentir. On le sait : tout ce qui brille n'est pas or... Circulez, il n'y a rien à voir, sauf le pioupiou candide que le pouvoir voudrait gentil, soumis, siestant paisiblement près du tambour et du canon, cette fanfare si voltairienne de la mort qui marche au bonheur de la nation. Et à la chute du poème, Rimbaud dit simplement "Mon cul !" à la supercherie :
"[...] - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : "De quoi ?..." "
Il faut donc se méfier, même du sang, qui finalement dans les veines de Nina "coule bleu". Voilà un signe qui ne trompe pas et qui explique sa réplique finale (voir "Eros est-il rose?"). Nina ne pouvait être que déceptive tant le sang bleu n'est pas celui du peuple, de son énergie, de sa force de révolution (Cendrars écrira plus tard pour d'autres circonstances : "Le grand Christ rouge de la Révolution russe") qui ne rend que plus terrible sa défaite et son massacre, semaine sanglante de la Commune, semaine des fusillés et au-delà des exilés et des bagnards. Il y a eu sans doute le rêve un peu rose de l'utopie réalisée, il y a eu surtout le sang bien rouge du peuple rendu à sa "niche" dans "Paris se repeuple" quand tout retournera au mensonge coloré de l'Histoire maquillée (cette "rouge courtisane aux seins gros de batailles"), toute belle belle et pimpante de son horreur :
"Allez ! on préviendra les reflux d'incendie,
Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà,
Sur les maisons, l'azur léger qui s'irradie,
Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila."
Alors, dans notre chemin de lecture, posons une hypothèse au travers du poème "Le cœur supplicié", peut-être un égarement, sans doute une porte ouverte depuis longtemps par la critique rimbaldienne. Le débat serait en partie ici celui du viol ou non de Rimbaud à Paris, au moment de la Commune. Viol, il y a. Réel ? Au moins en ce que Rimbaud incarne le sentiment de révolte et de pitié vraie. L'âme révolutionnaire de Rimbaud a été forcée, violée au spectacle de l'armée française qui a massacré les Communards, comble, sous le regard bienveillant de l'armée allemande.
Hypothèse alors en lien avec la petite adaptation de Ronsard en ouverture d'"Eros est-il rose". Rimbaud écrit dans son "cœur supplicié : "A la vesprée, ils font des fresques / Ithyphalliques et pioupiesques". "A la vesprée" (Rimbaud le sait, bien sûr sinon pourquoi cette formule si décalée après "mon cœur est plein de caporal") est d'abord l'invitation de Ronsard à la mignonne pour aller voir si la rose du matin a gardé le même teint "pourpre" (souvenons-nous : la rose, le pourpre). Mais à la vesprée, le poète ne peut que constater la flétrissure et en tirer, à la dernière strophe, cet enseignement :
"Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez, votre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté."
S'il faut cueillir cette jeunesse, il est vrai aussi que souvent dans son élan, comme l'on dit, la jeunesse (d'une révolution) peut être fauchée dans un bain de sang bien rouge. "N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or." ("Une saison en enfer" - "Matin")
Alors cesser ? Poser les armes et renoncer bien tranquillement ? Rimbaud est l'intranquille. Il a le sang qui bout. Jamais personne n'éteindra chez lui le grand incendie du rouge. Rimbaud est un pyromane qui incendie le ciel et les orages :
"Ô cents agneaux, de l'idylle soldats blonds,
Des aqueducs, des bruyères amaigries,
Fuyez! plaine, déserts, prairie, horizons
Sont à la toilette rouge de l'orage !"
("Michel et Christine")
Et reprenant la route des Illuminations dont nous sommes tellement loin de maîtriser tous les enjeux de datation, il semble que le rouge y ouvre un autre chemin, en compagnie.
Le rouge y est souvent associé au noir "la boue est rouge ou noire" ou au blanc "Le sang et le lait coulèrent" (deux sources de vie qui ne font pas le rose) ou à tout le moins au froid, à l'arctique, au polaire (le "pavillon de viande rouge" et les "fleurs arctiques"). Il y a aussi pour le noir, "les blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes" ; "des yeux hébétés à la façon de la nuit d'été, rouges et noirs".
Pourtant les trois peuvent se retrouver dans la "nuit rouge" du "chaos polaire" de "Dévotion" qui se clôt, dans une rasade de couleurs, sur une lutte, un combat avec l'"Elle" mystérieuse : "Le matin avec Elle, vous vous débattîtes parmi les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles, -ta force."
Loin, d'une certaine façon, du poème augural des "Etrennes des orphelins" et de son pays glacé (voir "Eros est-il rose?"), les Illuminations, par un long, patient et raisonné décollement rétinien de la langue, nous semblent, en fièvre toujours, chercher le pôle magnétique d'une ère glaciaire, de feu et de glace ("Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre" - "Barbare"), sous un ciel où Rimbaud a tendu "des chaînes d'or, d'étoile à étoile" pour y danser encore dans de blancs poèmes "dioptriques" qui dévient toute lumière qui les traverse.
Blancs, verts et rouges dioptriques,
Que s'évadent d'étranges fleurs
Et des papillons électriques."
("Ce qu'on dit au poète à propos des fleurs" - signé "Alcide Bava, A.R.")
Mettre de l'étrange, de l'électrique, telle est l'une des ambitions de ce malin génie qui a vite compris que tout n'est qu'une question d'ondes. Changer les ondes pour changer la perception ; créer des ondes pour créer des énergies nouvelles (nous ne sommes qu'en 1871), pour modifier dans nos cerveaux habitués les associations des mots et des couleurs, des mots et des choses. La représentation est rassurante, elle construit son blindage de certitudes qui protègent des voyous de la langue tout occupés à la pénétrer par effraction, à forcer le coffre-fort des sens, du sens bien ordonné. Alors Rimbaud se donne un surnom de braqueur : Alcide Bava. Hercule le baveur d'acide qui ronge tous les blindages. Alors bien sûr, parfois, même si la tâche est "longue", "immense" et "raisonnée", ça saigne, c'est pas du propre. Mais ce qui compte, c'est de voler les couleurs enfermées, serties pour de tristes "émaux et camées". Rimbaud-Robin des bois de Charlestown (surnom qu'il donnait à Charleville) ne vole que pour mieux rendre aux oubliés, aux insurgés, après avoir taillé, retaillé pour qu'en une autre main la pierre précieuse ne soit plus bijou, mais qu'elle revienne au plus près de la beauté brute de son extraction solaire (voir les quelques mots sur l'or de "lire Rimbaud (3)") :
"L'éclat de ces mains amoureuses
Tourne le crâne des brebis!
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis!"
("Les Mains de Jeanne-Marie")
Le rubis est une pierre réfractaire, au double-sens du terme. Elle résiste à la chaleur, elle résiste, tout simplement. Elle est une pierre de dissidence, une pierre pour ceux qui, en retour à l'étymologie de "dissident" que rappelle Quignard, se désassoient (et non pour "Les Assis"). Le rouge allonge (non plus pour le désir rose tranquille, rouge alors adouci de blanc qui a aussi cette vertu) ou dresse. Le rouge allonge sous la mitraille ou dresse le forgeron qui d'un geste de noblesse vraie jette son bonnet rouge au visage du roi ("Le Forgeron"). Le rouge par le sang pose la vie ou la mort, dans un jaillissement souvent, dans une brutalité, une puissance presque explosive. Le rouge qui atteint au vermeil fusionne, dans sa longueur d'onde, avec l'or.
Le rouge est plus que le désir, il est son ivresse (le rouge du vin aussi qu'il faudrait filer dans l'œuvre), son excitation, il est le désir tisonné qui monte aux lèvres, le désir un peu brutal et primitif face à Nina :
"Riant à moi, brutal d'ivresse,
Qui te prendrais
Comme cela, - la belle tresse,
Oh! - qui boirais
Ton goût de framboise et de fraise,
Ô chair de fleur!
Riant au vent vif qui te baise
Comme un voleur [...]"
ou bien encore aux sources anciennes d'une "Tête de faune":
"Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches."
Rire rouge du désir effaré qui écarlate comme un bourgeon trop plein de sève. (Notons au passage que chez Rimbaud, on ne mord pas la pomme, mais la fleur rouge de mère Nature). Rouge érection donc, de la colère aussi bien sûr, de la Commune, de la Révolution. Drapeau rouge, drapeau noir. Deuil des sacrifiés du "Mal" de la guerre, du dormeur aux "trous rouges" (comment ne pas le citer...), "crachats rouges de la mitraille" qui traversent, transpercent et font crever les soldats qui déjà portent en uniforme "écarlates" l'avenir de leur sang versé. Le devoir de Rimbaud, parce qu'il nous semble lire chez lui ce sentiment du devoir, est de rétablir les couleurs, de déjouer les chromos menteurs des illustrations à la gloire de l'Empereur aux trois bâtons. Ainsi avec "L'éclatante victoire de Sarrebrück", cette "gravure belge brillamment coloriée" (et déjà croisée), Rimbaud gratte-t-il la croûte du pittoresque guerrier de la gloriole. En politique, en propagande, faut que ça brille, avec aussi un peu de rose :
" Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, -car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. [...]"
Si Napoléon le troisième cherche à se faire l'égal de l'Autre, le Premier, son apothéose selon Rimbaud n'est plus qu'un rite funéraire antique. Ici, dans le rejet à la rime de "flamboyant", dans le "férose" du Zeus de pacotille, rien d'autre qu'un enterrement de toutes ces fausses couleurs, trop brillantes pour ne pas mentir. On le sait : tout ce qui brille n'est pas or... Circulez, il n'y a rien à voir, sauf le pioupiou candide que le pouvoir voudrait gentil, soumis, siestant paisiblement près du tambour et du canon, cette fanfare si voltairienne de la mort qui marche au bonheur de la nation. Et à la chute du poème, Rimbaud dit simplement "Mon cul !" à la supercherie :
"[...] - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : "De quoi ?..." "
Il faut donc se méfier, même du sang, qui finalement dans les veines de Nina "coule bleu". Voilà un signe qui ne trompe pas et qui explique sa réplique finale (voir "Eros est-il rose?"). Nina ne pouvait être que déceptive tant le sang bleu n'est pas celui du peuple, de son énergie, de sa force de révolution (Cendrars écrira plus tard pour d'autres circonstances : "Le grand Christ rouge de la Révolution russe") qui ne rend que plus terrible sa défaite et son massacre, semaine sanglante de la Commune, semaine des fusillés et au-delà des exilés et des bagnards. Il y a eu sans doute le rêve un peu rose de l'utopie réalisée, il y a eu surtout le sang bien rouge du peuple rendu à sa "niche" dans "Paris se repeuple" quand tout retournera au mensonge coloré de l'Histoire maquillée (cette "rouge courtisane aux seins gros de batailles"), toute belle belle et pimpante de son horreur :
"Allez ! on préviendra les reflux d'incendie,
Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà,
Sur les maisons, l'azur léger qui s'irradie,
Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila."
Alors, dans notre chemin de lecture, posons une hypothèse au travers du poème "Le cœur supplicié", peut-être un égarement, sans doute une porte ouverte depuis longtemps par la critique rimbaldienne. Le débat serait en partie ici celui du viol ou non de Rimbaud à Paris, au moment de la Commune. Viol, il y a. Réel ? Au moins en ce que Rimbaud incarne le sentiment de révolte et de pitié vraie. L'âme révolutionnaire de Rimbaud a été forcée, violée au spectacle de l'armée française qui a massacré les Communards, comble, sous le regard bienveillant de l'armée allemande.
Hypothèse alors en lien avec la petite adaptation de Ronsard en ouverture d'"Eros est-il rose". Rimbaud écrit dans son "cœur supplicié : "A la vesprée, ils font des fresques / Ithyphalliques et pioupiesques". "A la vesprée" (Rimbaud le sait, bien sûr sinon pourquoi cette formule si décalée après "mon cœur est plein de caporal") est d'abord l'invitation de Ronsard à la mignonne pour aller voir si la rose du matin a gardé le même teint "pourpre" (souvenons-nous : la rose, le pourpre). Mais à la vesprée, le poète ne peut que constater la flétrissure et en tirer, à la dernière strophe, cet enseignement :
"Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vostre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez, votre jeunesse :
Comme à ceste fleur la vieillesse
Fera ternir vostre beauté."
S'il faut cueillir cette jeunesse, il est vrai aussi que souvent dans son élan, comme l'on dit, la jeunesse (d'une révolution) peut être fauchée dans un bain de sang bien rouge. "N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or." ("Une saison en enfer" - "Matin")
Alors cesser ? Poser les armes et renoncer bien tranquillement ? Rimbaud est l'intranquille. Il a le sang qui bout. Jamais personne n'éteindra chez lui le grand incendie du rouge. Rimbaud est un pyromane qui incendie le ciel et les orages :
"Ô cents agneaux, de l'idylle soldats blonds,
Des aqueducs, des bruyères amaigries,
Fuyez! plaine, déserts, prairie, horizons
Sont à la toilette rouge de l'orage !"
("Michel et Christine")
Et reprenant la route des Illuminations dont nous sommes tellement loin de maîtriser tous les enjeux de datation, il semble que le rouge y ouvre un autre chemin, en compagnie.
Le rouge y est souvent associé au noir "la boue est rouge ou noire" ou au blanc "Le sang et le lait coulèrent" (deux sources de vie qui ne font pas le rose) ou à tout le moins au froid, à l'arctique, au polaire (le "pavillon de viande rouge" et les "fleurs arctiques"). Il y a aussi pour le noir, "les blessures écarlates et noires éclatent dans les chairs superbes" ; "des yeux hébétés à la façon de la nuit d'été, rouges et noirs".
Pourtant les trois peuvent se retrouver dans la "nuit rouge" du "chaos polaire" de "Dévotion" qui se clôt, dans une rasade de couleurs, sur une lutte, un combat avec l'"Elle" mystérieuse : "Le matin avec Elle, vous vous débattîtes parmi les éclats de neige, les lèvres vertes, les glaces, les drapeaux noirs et les rayons bleus, et les parfums pourpres du soleil des pôles, -ta force."
Loin, d'une certaine façon, du poème augural des "Etrennes des orphelins" et de son pays glacé (voir "Eros est-il rose?"), les Illuminations, par un long, patient et raisonné décollement rétinien de la langue, nous semblent, en fièvre toujours, chercher le pôle magnétique d'une ère glaciaire, de feu et de glace ("Les brasiers, pleuvant aux rafales de givre" - "Barbare"), sous un ciel où Rimbaud a tendu "des chaînes d'or, d'étoile à étoile" pour y danser encore dans de blancs poèmes "dioptriques" qui dévient toute lumière qui les traverse.
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